un père
deux enfants
trois blocs erratiques
quatre blocs d’habitation
un mur qui n’en est plus un
un poste émetteur-récepteur
un projecteur
un vieux film super-8
un nouveau, monté à partir de l’ancien
et ensuite
un père
deux enfants
trois blocs erratiques
quatre blocs d’habitation
un mur qui n’en est plus un
un poste émetteur-récepteur
un projecteur
un vieux film super-8
un nouveau, monté à partir de l’ancien
et ensuite
Besetzung
Regie: Armand Deladoëy
Übersetzung: Laurent Muhleisen
Mit: Cédric Djedje, Fred Jacot-Guillarmod und Cédric Juliens
Bilder oben: © Samuel Rubio
Premiere
16. Oktober 2017
Theater
POCHE /GVE, Genf (CH)
Le Temps, Alexandre Demidoff
Pépites nocturnes au Poche à Genève. Trois acteurs jouent quatre courtes pièces, dont «Erratiques», texte merveilleusement troublant du jeune auteur allemand Wolfram Höll. Ce bain de nuit vaut le détour […]Pépites nocturnes au Poche à Genève. Trois acteurs jouent quatre courtes pièces, dont «Erratiques», texte merveilleusement troublant du jeune auteur allemand Wolfram Höll. Ce bain de nuit vaut le détour […] Un homme se rappelle l’immeuble de son enfance, dans un quartier d’une ville est-allemande. La scène s’étire devant vous comme une jetée, barrée par une paroi. A l’extrémité, l’acteur Fred Jacot-Guillarmod vit les mots de Wolfram Höll – traduits par Laurent Muhleisen. Derrière un lutrin, ses mains d’ensorcelé remontent le courant de la mémoire. Que voit-on alors dans la mise en scène délicate d’Armand Deladoëy? Comme appelés par Fred Jacot-Guillarmod, les acteurs Cédric Djedje et Cédric Juliens glissent en somnambules sur la scène, bientôt pétrifiés à l’image des trois gros cailloux – les «erratiques» – qui veillent sur le plateau. La beauté musicale et poétique du spectacle tient à son énigme. En bordure de mot, l’enfance se recompose. Imaginez l’enfant, son frère et son père, tous trois liés par une image brûlante, un film où passe la mère, morte. Erratiques est le chant d’une lumière, celle qui survit quand tout s’efface. (18.10.2017)
L’Atelier critique, Pierre-Paul Bianchi
Au Poche de Genève, Erratiques évoque les limites de l’image et du langage face à la mémoire, qui glisse avant qu’on n’ait pu la saisir. Le texte de Wolfram Höll, dans la mise en scène d’Armand Deladoëy, raconte comment c’est d’être un enfant face à de grands bouleversements. Il en résulte une « force tranquille » qui, tout en dépouillement, plonge le spectateur dans une introspection.Au Poche de Genève, Erratiques évoque les limites de l’image et du langage face à la mémoire, qui glisse avant qu’on n’ait pu la saisir. Le texte de Wolfram Höll, dans la mise en scène d’Armand Deladoëy, raconte comment c’est d’être un enfant face à de grands bouleversements. Il en résulte une « force tranquille » qui, tout en dépouillement, plonge le spectateur dans une introspection. La mise en scène d’Armand Deladoëy est minimale, dépouillée, clinique. Elle s’efforce de dire beaucoup sans rien, et cela fonctionne. Le plateau n’a guère plus de deux mètres de profondeur, laisse le spectateur oppressé – il n’y a pas de ligne d’horizon, pas de profondeur. Il ne s’y trouve que trois petits blocs gris. On se souviendra pourtant de l’effet troublant provoqué par la brillance du matériau employé pour recouvrir le sol et l’arrière-fond, qui fait muer l’atmosphère au gré des lumières. Obsessionnellement les mots « ombre,lumière, ombre, lumière » reviennent. La teinte grise de la scène est néanmoins la première à frapper. C’est au public de construire sur cette surface les images fissurées échappées du langage. « Je vais / à la maison. […] La maison / est un bloc d’habitation » dit lentement l’enfant. On s’attache aux mots et on imagine que sur scène, le gris pourrait être la façade de béton. On ne cesse pourtant de douter de soi, rien n’est jamais ex plicite. Le dépouillement est industriel : il n’y pas là de luxe ni d’abondance. Il s’y trouve simplementla même lenteur, la même aphasie que dans les sentiments et les évocations de l’enfant. L’image est forte quand le père traverse au ralenti la scène, presque collé au mur – presque dépossédé de sa corporalité et pourtant précis dans ses gestes – et croise sur son chemin, sans le regarder, son fils qui vient en sens inverse, éloigné du mur et beaucoup moins mécanique dans sa démarche. Il n’y pas de dialogue. Il y a l’incapacité visuelle et textuelle de la rencontre. Comment reconstruire seul la mémoire des absents, lorsqu’on est isolé au coeur de nos proches ? C’est peut-être ce que raconte ce spectacle. A Genève, la rencontre entre Wolfram Höll et Armand Deladoëy produit une symphonie poignante qui fait sens vers une cacophonie. (20.10.2017)
L’Atelier critique, Lucien Zuchuat
Dans une quête hallucinée et musicale, Wolfram Höll rappelle par bribes une enfance berlinoise à la croisée de l’Est et de l’Ouest, des rêves de lumière et de la rudesse du béton. Au POCHE (GE), sous la direction satinée d’Armand Deladoëy, le texte se murmure dans la pénombre. Et c’est bouleversant.Dans une quête hallucinée et musicale, Wolfram Höll rappelle par bribes une enfance berlinoise à la croisée de l’Est et de l’Ouest, des rêves de lumière et de la rudesse du béton. Au POCHE (GE), sous la direction satinée d’Armand Deladoëy, le texte se murmure dans la pénombre. Et c’est bouleversant. Car c’est le parti du minimalisme, des microvariations à l’ampleur infinie, de la vibrante sous-enchère que prennent Armand Deladoëy et ses trois comédiens. La scène, une manière de rampe dont les courbes gris-or s’éploient en longueur, n’offre rien à la vue que trois gros cailloux de papier mâché – les fameux « erratiques », seule concession physique à un imaginaire avant tout verbal (la majeure partie du spectacle étant en effet lue texte en main). Pour le reste, la mécanique relève de la plus pure simplicité : l’un des trois comédiens (Fred Jacot-Guillermod), replié dans un coin derrière sa partition, assume une narration frénétique que rythme la danse ondoyante de ses doigts de souris : voici l’enfant. L’autre (Cédric Djédjé) endosse la partition de l’immobilisme, de la force boudeuse, la violence d’une présence en retrait : voici le frère. Et le troisième (Cédric Juliens) d’assurer la partition du père, avec ses mouvements empruntés de géant dans une maison de poupée, sa voix rassurante et la puissance bienveillante de son sourire. Plongés dans la pénombre, plus trismégistes que nécromanciens, ils trans-forment l’or du monologue de Höll en broderie de sens, d’images fortes et sombres qui évoquent toute la gravité de l’enfance, ses urgences et ses drames. Seule la bande-son, les riches improvisations de Vincent Hänni qui drapent énergiquement le texte de bout en bout dans un hypnotique tango, peut parfois sembler redondante, voire même étouffante, les rythmes confinant par moment à l’anxiogène. Mais c’est un détail. Car la houle inarrêtée des mots, la musique magistrale du poème servie par un jeu sensible et habité, emporte dès l’abord. A-t-on même cligné des yeux durant ces 47 minutes chrono d’immersion totale ? Transies, bouleversées, d’avoir saisi dans la pénombre la diffculté de se défaire de ces roches erratiques qui nous habitent toutes, on se dit que la magie tient sans doute du resouvenir : les drames de cet enfant, ses deuils inassouvis, sont aussi ceux de notre enfance à nous. (20.10.2017)